Entretien avec Adam Maina, un des étudiants présents sur le pont Kennedy le 9 février 1990
Commémoration des évènements du 9 février 1990 / CC- Abdoul Rachid Maiga / Studio Kalangou

Entretien avec Adam Maina, un des étudiants présents sur le pont Kennedy le 9 février 1990

Entretien à cœur ouvert avec Adam MAINA, l’un des étudiants sur le pont Kennedy à Niamey ce 9 février 1990. Il étudiait alors en Lettres Modernes. Lors de la répression ce jour-là, le jeune étudiant a vu mourir ses camarades « Malheureusement, on a perdu trois scolaires ce 9 février, le jeune collégien Issaka KAINE du CEG de Harobanda 1, et puis deux camarades étudiants Mamane SAGUIROU et Alio NAHANTCHI ». Quant à lui, il fut gravement touché par balle, ce qui l’a rendu handicapé à vie. Aujourd’hui, il vit dignement avec son handicap, il est chargé de programmes à l’ambassade du Niger à Paris. 31 ans après, il nous livre un témoignage historique. Pour Adam MAINA « le 9 février a été sans conteste le point de départ de la lutte triomphale de la société civile nigérienne, avec les scolaires nigériens en tête, pour l’instauration de la démocratie au Niger ».

Studio Kalangou : Vous faites partie de ces scolaires qui sont sortis le 9 février 1990 pour manifester pacifiquement. Comment avez-vous vécu cette journée ?

Adam MAINA : Ce vendredi a vu basculer la vie de beaucoup de familles, qui ont soit perdu leurs enfants, soit gravement blessés ou handicapés à vie. Je pense aux familles de Issaka KAINE, Mamane SAGUIROU et Alio NAHANTCHI, qui sont partis à jamais ce jour. C’est toujours difficile de conter ce qui est arrivé 31 ans après. Nous étions ce matin sortis de l’université de Niamey pour une marche pacifique pour dénoncer nos mauvaises conditions de vie et d’études. Et malheureusement en face de nous il y avait des forces de l’ordre, qui sont venues pour livrer une guerre vraiment sans merci à des étudiants sans armes, les mains vides. Elles étaient déployées dès la veille d’ailleurs, elles étaient déployées tout autour du rond-point Kennedy, elles étaient lourdement équipées.

Plus tard, c’est avec le recul, j’ai su que, dans les rapports que la police a eu à faire, je ne sais pas rapports exacts ou pas, il parait qu’ils ont sorti plus d’une centaine d’armes à feu, près de 130 armes de guerre dont 90 mass 36, des kalachnikovs, des P5 et une cargaison de près de 2 000 balles réelles. Pour des gens qui étaient venus normalement pour faire le maintien de l’ordre c’est vraiment bizarre d’avoir ces types d’armes.

Quand on est arrivé, on était les premiers à être sur le pont, ils ont tenté dès le départ de nous bloquer, de nous empêcher de traverser le pont. On a continué à avancer, ils ont essayé de nous bloquer en tirant des balles à blanc, des grenades lacrymogènes. Les échauffourées ont duré un certain temps avant qu’ils ne commencent à tirer à balles réelles. Je faisais partie des premiers qui sont tombés. Et quand moi j’ai pris ma balle, donc la seule chose dont je me souviens… je me voyais au sol en fait. Je suis tombé, j’ai senti une sorte de décharge électrique avant de me voir au sol. Je me rappelle, je portais une paire de lunettes, elle était cassée, je ne pouvais pas me relever. Donc il y avait des camarades qui m’ont pris, parmi lesquels je me rappelle très bien de Abdoulaye Djagondi, Ali Maman Barka ; ils ont essayé de m’évacuer vers l’arrière de la manifestation. Ils m’ont mis dans un taxi, une 504 Berline, je me souviens très bien et on m’a évacué vers le CHU. Malheureusement arrivés au CHU, on est resté longtemps en train d’attendre d’être pris en charge. Mais malheureusement rien. Certainement que ceux qui étaient là pensaient que c’était fini pour moi. Ils s’occupaient plus des gens asphyxiés, des gens qui ont eu à respirer des gaz lacrymogènes que de s’occuper de moi. Au bout d’un certain temps, il a été décidé de nous transférer à l’hôpital national. Et là, une fois dans l’ambulance, nous étions quatre blessés, moi le plus gravement au milieu et puis trois autres autour de moi. Mais arrivés malheureusement sur le pont, les policiers commencent à frapper les blessés et surtout le pauvre accompagnateur qui était à l’avant du véhicule. Et parmi ceux qui frappaient, j’ai reconnu un garde républicain, d’ailleurs que je connaissais, qui menaçait, injuriait, il s’est tu dès que nos regards se sont croisés, il était gêné en me reconnaissant. Finalement, ils ont laissé l’ambulance partir jusqu’à l’hôpital.

Studio Kalangou : Comment s’était passée la prise en charge à l’hôpital National de Niamey ?

Adam MAINA : A l’hôpital où un monde fou attendait d’aucuns cherchaient à identifier des proches, amis blessés, d’autres à satisfaire leur curiosité, mais tous avaient le même visage assombri par le drame qui venait de se produire. Pendant que l’on me transportait vers le bloc, j’avais reconnu des gens, qui étaient dans la foule. J’étais la victime mais ils avaient l’air plus touché que moi. Il est vrai en ce moment mon état inspirait une telle inquiétude qu’on croyait que j’allais mourir d’un instant à l’autre. Sans que je n’y pense personnellement. Je perdais beaucoup de sang, mais seule une douleur au coude gauche me tracassait.

Lors de l’évacuation des blessés vers les services de chirurgie, faute de place, on était allongé à même le sol. C’est couché à même le sol qu’un infirmier est venu se présenter à moi, me demander qui j’étais, mon identité, voir la gravité de mon cas. C’est après qu’il a été décidé de m’amener en radiologie et constater les dégâts : une balle dans le cou. C’est ainsi qu’après on m’a ramené dans une salle, où on m’a pratiqué une anesthésie, je me rappelle d’un docteur Idrissa et puis une dame. Et c’est le docteur Arifa et docteur Sako qui m’ont opéré ce jour-là, avec la participation du colonel Ousmane Gazéré qui était ministre de la santé à l’époque. Personnellement, je n’avais pas, sur le champ, réalisé la gravité de ce qui m’était arrivé quoi. C’est avec le temps qu’on va découvrir.

Studio Kalangou : Alors, à quel moment avez-vous réellement pris conscience de votre état ?

Adam MAINA : Après l’opération que j’ai subie, l’opération réalisée par les docteurs Sako et Arifa, avec la participation du colonel Ousmane Gazéré qui était le ministre de la santé, c’est là que j’ai su, j’ai entendu le médecin Sako dire à Gazéré que j’étais paralysé. Seulement sur le champ, je n’avais pas réalisé, je ne savais même pas ce que ça veut dire. Il me faudra des mois pour réaliser cet état de fait mais toujours avec la conviction que cela était temporaire quoi, l’espoir et la volonté de m’en sortir ne m’ont jamais quitté. Mais il y a aussi le manque d’information, le fait de ne pas savoir ce que c’était. Ou peut-être je n’avais pas encore pris conscience de ce qui m’était arrivé. Toujours est-il que on se retrouve après paralysé quoi, impossible de bouger, vous n’avez que votre tête qui bouge. Paralysé des quatre membres. Et vous avez que la tête qui bouge. Donc j’étais tétraplégique au départ.

Studio Kalangou : Après ce diagnostic alarmant, qu’est-ce qui a été décidé sur le plan médical ?

Adam MAINA : Après cela, il a été décidé la gravité de mon cas, de m’évacuer sur une structure plus spécialisée. C’est suite à cela qu’on a décidé de m’évacuer sur Paris. Je devrais quitter le 13 février mais malheureusement, je ne sais pour quelle raison, à l’époque c’était des vols UTA, ce vol n’a pas eu lieu. Il a fallu le lendemain pour partir pour l’aéroport. Mais juste avant que je ne parte pour l’aéroport, j’ai reçu ce jour-là la visite de Ali Saibou, le président de la République de l’époque il était accompagné du docteur Sako et du ministre Gazéré. Ali Saibou m’a accompagné jusqu’à l’ambulance, qui m’a amené à l’aéroport. J’ai quitté Niamey vers 13h pour Paris. Où j’étais sensé arrivé vers les 18h, mais malheureusement en plein vol ce jour là aussi il y a eu une alerte à la bombe, mon avion a été dérouté sur Lyon, une fois atterri à Lyon, tout le monde a fui, le seul qui n’a pas pu bouger c’était moi. Je ne pouvais pas bouger, à plus forte raison fuir. C’est longtemps après que les agents de la sécurité étaient venus fouiller l’avion en essayant de me rassurer en me disant que tout va bien. Ils n’ont pas trouvé de bombe heureusement. Et après, plus d’1h30 de retard, là on est arrivé vers 21h à Paris, où j’ai été pris en charge par une équipe de l’hôpital militaire du Val de Grace.

Arrivé au Val de Grace, j’ai été opéré le lendemain à la moelle épinière. Et je suis resté un mois dans cet hôpital avant d’être transféré dans un autre hôpital militaire, l’Institution nationale des Invalides, une structure spécialisée dans les blessés par balles, c’est un centre militaire, et là où je suis resté presque 2 ans, où je me suis battu, beaucoup de rééducation vraiment et cela a été difficile ; mais bon, Dieu merci, je suis sorti quand même. J’ai commencé par un fauteuil roulant et maintenant avec des béquilles. C’est long mais c’est cela la vie, finalement l’impact, notre vie est réduite à cela : handicapé à vie. Mais bon, comparé à d’autres est-ce que l’on a le droit de se plaindre ?

Studio Kalangou : Aujourd’hui encore quand vous pensez au 9 février 1990, qu’est- ce que vous vous dites ? Malgré des difficultés, j’ai réussi ma vie ?

Adam MAINA : Le 9 février, le plus souvent, je pense à eux (aux trois scolaires décédés ce jour-là), à leurs familles. Parce que moi j’ai de la chance, je suis encore en vie, même si je suis dans un état pas terrible, mais bon ce n’est pas grave, on est vivant, c’est cela la vie, elle continue, cela ne devrait pas nous décourager. Pendant que j’étais à l’hôpital, je me suis inscrit, pour ne pas rester comme ça, j’ai continué les études. Et depuis, je travaille, j’ai une vie de famille, tout comme tout le monde quoi.

Donc comme il y a eu trois morts, moi ça va, j’ai eu plus de chance si on peut appeler cela de la chance. Mais quelque part il y a quelque chose qui fait votre fierté, c’est quand vous voyez le résultat. Le résultat c’est : on peut aujourd’hui dire qu’au moins s’il y a démocratie au Niger, on peut dire que c’est grâce à vous, vous avez contribué, même si c’est une modeste contribution, vous avez contribué, c’est grâce à vous, grâce à ceux qui sont partis, qui ont donné leur vie. Aujourd’hui les gens circulent librement au Niger, peuvent s’exprimer librement, peuvent faire ce qu’ils veulent, même si d’aucuns disent que c’est une dictature, mais allez voir les dictatures ailleurs, vous saurez ce qu’une dictature. Cela fait notre fierté, les gens votent, choisissent, chacun est libre, tout ça c’est quelque chose.

Studio Kalangou : Qu’est-ce que vous avez envie de dire aux étudiants nigériens d’aujourd’hui ?

Adam MAINA : Les jeunes d’aujourd’hui, ils ont beaucoup plus de chance que nous, ils peuvent manifester en toute liberté sans que quelqu’un n’utilise des balles réelles contre eux, ça c’est sûr, c’est certain. Surtout qu’ils soient plus soudés, qu’ils pensent à l’intérêt général, éviter les divisions, et penser à leur avenir, travailler, travailler et servir leur pays.